Le nouveau look du brassage à la main

Qu’est-ce qui peut pousser un jeune enseignant à s’isoler chaque semaine toute une journée dans une cave pour y “brasser” littéralement, à la force des bras, des bières très goûteuses ? Le goût du partage et de la convivialité.

Pierre-Yves Payon est un homme d’aujourd’hui, bien dans ses baskets. Dans le hall d’entrée de la jolie villa où est aussi installée sa petite brasserie, le “Wall of Fame” annonce joyeusement la couleur. Des dessins de ses deux garçons y côtoient les posters de sa Brasserie artisanale Les Mûriers et de ses bières La Culminante. Un cadre plus rétro s’est glissé dans la composition. Zoomons dessus : Brasserie Payon, Fays-les-Veneurs ? Un ancêtre venu des environs de Sedan avait effectivement créé une brasserie à la fin du 19e siècle dans ce village de la commune de Paliseul, au sud de la province du Luxembourg.  Il y a donc de l’ADN de brasseur quelque part…

Le virus du brassage est arrivé un peu par hasard. Une envie d’expérience rendue possible par l’héritage d’un cahier de recettes… Cahier cédé par un proche, Joseph, un brasseur amateur chevronné qui a développé au cours des années des recettes de bières faisant les délices de ses amis. Convaincu du potentiel commercial de ses bières, Pierre-Yves propose alors à Joseph l’idée d’élargir le cercle. En 2016, il saute le pas de la commercialisation. La Culminante 694, référence au toit de la Belgique, est lancée sur les territoires de Waimes et Malmedy. Suivront la 31, la Dorée et la Blanche. L’ambition est et reste de développer un produit qualitatif unique, en utilisant la méthode ancestrale du brassage manuel. La capacité annuelle sera donc limitée par le calcul simple suivant : si une cuve de brassage fournit 80 litres de bière et que l’on y brasse un jour par semaine chaque semaine de l’année, quelle sera la production annuelle… ? 4.160 litres, Monsieur l’instituteur !

Le sous-sol a été spécialement aménagé pour l’activité de la brasserie. Un environnement clean, net, fonctionnel. Pierre-Yves présente son matériel. “Je concasse les malts sur cette table avec un petit moulin à foreuse. J’installe la cuve ouverte sur un grand bec Bunsen posé au sol, j’y mets les grains concassés dans l’eau, venant d’un captage sur le territoire de Waimes, et je commence à mélanger. Je respecte des paliers de température, qui monte progressivement pendant 3 heures. Ces trois premières heures sont cruciales, il faut vraiment tourner sans arrêt. Tout le processus de cuisson prend environ 8 heures et il faut continuer à mélanger très régulièrement. Les 100 litres que contient la cuve au départ sont devenus 80 litres à l’arrivée.”  

L’instrument que Pierre-Yves Payon manie durant cette séance de fitness intensive s’appelle une “panûle” en wallon de la région. Autrement dit, une pelle de brasseur, qui est aussi l’emblème d’un des masques traditionnels du Cwarmê, le carnaval de Malmedy. Les traditions sont vives par ici. (Le jeune brasseur, très impliqué dans la vie sociale locale, vient d’ailleurs de fêter dignement les 5 jours de liesse dans la Cité de la Warche.) L’outil en question a la forme d’une grande cuillère en bois à très long manche. “J’avais testé un fourquet, avec sa forme spéciale ouverte, mais la cuillère me convient mieux.” Nous pourrions encore prolonger le parallèle avec le Cwarmê en parlant des cuves en inox, rappelant la forme des chapeaux d’un autre masque traditionnels de Malmedy… le Sotê.

À part pour sa Blanche ou interviennent un peu d’épices, Pierre-Yves ne travaille qu’avec des malts et des houblons, sans aucun additif. “Certaines recettes sont basées sur trois malts différents et trois houblons différents. Je propose actuellement quatre recettes, ce qui représente une dizaine de malts au total.” Lesquels ? Secret de famille ! Et après une première fermentation de plus ou moins 10 jours, la bière est soutirée manuellement, sans filtration et sans stabilisateurs, en bouteilles de 33 et 75 cl, fermées à l’aide d’une capsuleuse manuelle, bien entendu. Après 21 jours au minimum de refermentation en bouteilles aux Mûriers puis une période de repos de quelques jours en cave, c’est le départ pour les points de distribution.

C’est sûr que ce processus à 100% artisanal est plus ‘touchy’ qu’une production mécanisée, confie Pierre-Yves. La stabilité de la mousse peut varier. Mais ça fait partie du concept. Il faut être compréhensif…” Il ne vous viendrait pas à l’esprit de secouer une bouteille de champagne avant de l’ouvrir. Traitez une Culminante avec les mêmes égards et elle vous le rendra avec des saveurs complexes, de la plénitude et de la croustillance et une belle longueur en bouche. Conservez-la à une température d’environ 10° C. Évitez de servir le fond de la bouteille où il y a forcément un petit dépôt de lie.

Les bières artisanales de la Brasserie Les Mûriers se présentent avec un “look & feel” résolument actuel. Dans le design des étiquettes, vous reconnaîtrez sûrement une stylisation des courbes de niveau du haut plateau fagnard. Deux bières sont disponibles toute l’année. La 694 est une ambrée titrant à 7,5% d’alcool, avec un arôme de caramel, un goût houblonné et une longueur en bouche teintée d’une légère amertume. La Dorée est assez gouleyante malgré ses 7% d’alcool et présente un caractère malté. La Blanche fraîche est saisonnière, tout comme la 31, la bière des fêtes de fin d’année. “C’est une brune très consistante avec un arôme de chocolat noir et de café. Un scotch très foncé à l’ancienne, plutôt amer, pas très sucré. Elle a moins de succès auprès des jeunes qui n’ont pas le palais aiguisé à l’amertume. La 31 se déguste idéalement avec un dessert au chocolat”, conclut Pierre-Yves Payon. Et il m’en remet une bouteille de 75 cl de son stock qui tire à sa fin.

Un couple d’amis passe justement à la maison ce soir-là pour discuter d’un projet autour… d’une tranche de foie gras. Nous décidons de snober le Pinot gris d’Alsace prévu pour l’accompagner et de tester la bière à la place. Bingo ! Cette Culminante sur son 31, avec ses saveurs toastées, réussit l’accord parfait !

Cela m’a inspiré ce petit sommet de gourmandise pour passer de l’hiver au printemps : millefeuille de foie gras, pain brioché toasté, betterave rouge confite en pelure au sirop d’agave, disque de chocolat noir 70%, baies roses et sel de… l’Himalaya !  

La Culminante – bière artisanale est sur www.facebook.com/brasserie-les-Mûriers

Bon à savoir : Voici quelques adresses où l’on peut déguster une Culminante : La Menuiserie, restaurant étoilé à Champagne, commune de Waimes, la Maison du Parc National à Botrange, les brasseries le 49/50 de Waimes et 49/60 de Géromont, le café Chez Bruno et le restaurant Au Petit Chef, véritable institution malmédienne… Pour en acheter à Waimes : le Proxy Delhaize, les Maîtres Artisans. À Malmedy : l’épicerie des Champs, le Drive, la Boucherie Micha Délices des Ardennes. À Stavelot : la boulangerie épicerie fine Dumoulin.

Textes : Germaine Fanchamps
Photos: Pierre-Yves Payon, Germaine Fanchamps