“Tel un magicien ou un alchimiste, Comès conservait de vieilles bouteilles d’encre noire pour les laisser mûrir comme le vin.”
Olivier Grenson
Cette citation devrait éclairer votre lanterne si vous vous grattez un peu la tête devant le titre de l’exposition consacrée par l’Abbaye de Stavelot à Didier Comès, auteur de BD fantastique et maître du noir et blanc. Didier Comès, l’encrage ardennais.
Tiens, l’ancrage, ça ne s’écrit pas avec un a dans ce cas ? Si, mon petit, mais c’est un jeu de mots entre l’ancre que tu plonges dans ta terre natale et l’encre où tu plonges ta plume et ton pinceau… Intraduisible, bien sûr. Mais à part cela, l’exposition est parfaitement commentée par des panneaux traduits en néerlandais, allemand et anglais. Et la scénographie a vite fait de vous imprégner de l’univers puissant de l’Alsacien ardennais, comme il se qualifiait lui-même.

Didier Comès, né Dieter Comes en 1942 dans la partie germanophone de Sourbrodt alors ré-annexé par l’Allemagne, Grand Prix d’Angoulême en 1981 pour son album et chef-d’œuvre Silence, est une personnalité emblématique pour entamer cette nouvelle série d’articles, à saute-frontière entre Meuse et Rhin. Voir, marcher, entendre, humer, goûter et découvrir d’étranges similitudes ou d’étonnantes révélations. Pour l’heure, découvrons l’expo. Dans le cadre prestigieux de l’abbaye, elle est répartie sur deux étages. Première étape sous les combles, où vous accueille une photo grandeur nature de l’artiste, appuyé, quasi lové, dans un arbre creux. Homme des bois, tête de hibou ? Mais aussi percussionniste de jazz et nourri à la bande dessinée américaine.

Les racines de son univers s’entrecroisent : déesse mère, chamanisme originel, sorcières, paganisme, gnomes et oiseaux de malheur, mais aussi un érotisme tranché où l’on retrouve l’esthétique des années 70 – 80 dans les personnages féminins aux pommettes hautes.

Retour au rez-de-chaussée, direction la chapelle, pour une dénonciation virulente… du poids du clergé dans l’immédiat après-guerre. Et surtout, bien sûr, de la guerre elle-même, où le petit caporal Hitler en prend pour son grade ! En point d’orgue, le chœur de la chapelle sanctifie ce qui est sans doute la marque ultime de Comès : le paysage – de vent, de neige et de nuit. D’encre.
De quoi donner envie d’aller retrouver les traces de l’artiste, disparu en 2013, l’année où il connut encore une standing ovation au Festival d’Angoulême. Après un passage à la boutique des Musées, où l’on peut trouver ses albums et des ouvrages qui lui sont consacrés, nous mettrons le cap sur son Sourbrodt fagnard natal.
Bon à savoir : Le jeudi 6 juin, spectacle Silence. La BD de Didier Comès projetée sur grand écran et illustrée musicalement avec claviers et guitare. Info www.ccstp.be
Textes et photos: Germaine Fanchamps