Après un sombre hiver ardennais et un début de printemps en dents de scie, c’est le lumineux visage de Nel, la compagne de Rik Wauters, qui vous attire irrésistiblement à La Boverie. Et c’est le vieux jardinier d’Emile Claus qui vous y accueille…
On s’était dit rendez-vous au Grand Café de la Gare. Mon amie arrive de Bruxelles, moi de mon balcon en forêt ardennais. Elle est venue en compagnie d’une dame avec qui elle arpente aussi bien la forêt de Soignes que les expos de la capitale. En quasi régionale de l’étape, je me prépare à vanter à celle-ci les mérites du restaurant établi sous la grande aile lumineuse de Calatrava. Pensez-vous ! Elle le connaît parfaitement et a hâte d’y redéguster les traditionnels Boulets à la liégeoise !
Deux trios de boulets descendus avec enthousiasme et un cabillaud au beurre au persil plus tard, nous arpentons l’esplanade en direction de la Meuse. Les plantations y ont bien prospéré, notamment les bambous de type fargesia (ceux qui n’ont pas des racines traçantes qui vont tout démolir). “Et que cette tour est belle !” – C’est la Tour des Finances. ‒ “Au moins ici, ils n’ont pas fait quelque chose de moche avec notre argent.” L’état de grâce, vous dis-je.
Au bout de la “Belle Liégeoise”, quel joli nom pour une passerelle qui enjambe lestement le fleuve, le Parc de la Boverie et le superbe bâtiment construit pour commémorer l’Exposition Universelle de Liège en 1905 vous accueillent. Quand vous poussez la porte de l’exposition Liège. Chefs-d’œuvre, vous pourriez vous croire dans le hall de la villa Zonneschijn (Rayon de soleil) du luministe Emile Claus près de Laethem-Saint-Martin. Face à vous, le portrait imposant de votre jardinier et ce jardin sculpté par la lumière que vous vous préparez à peindre… Ou quelqu’un l’aurait-il déjà fait ?
“Celui-là, le Louvre nous l’envie vraiment !”
Ce Liégeois pur jus et connaisseur ne parle pas à son compagnon de visite du tableau de Claus, mais du portrait de Napoléon Bonaparte, premier Consul, par Ingres. Ce portrait en pied a pratiquement les mêmes dimensions que le jardinier et leur accrochage côte à côte est un coup de maître. La majesté dans la fleur de l’âge et le poids de l’âge portant une fleur.

Je vais toutefois zoomer sur le buste. Dans les portraits en pied, on est souvent distrait par l’apparat, le tomber des draperies, que sais-je… Aujourd’hui, je suis plutôt d’humeur à chercher l’expression des visages. Et à être sensible aux signes de l’histoire. Ce portrait a été offert par Napoléon à la ville de Liège en 1803. Ingres, qui l’a réalisé sur commande, y a représenté de façon anachronique la cathédrale Saint-Lambert… qui était en fait en ruines depuis la révolution liégeoise de 1789. Voir cette image a quelque chose d’interpellant le surlendemain de l’émotion provoquée par l’incendie de Notre-Dame de Paris.
Les œuvres phares de la collection du Musée des Beaux-Arts de Liège présentées dans cette exposition comptent des Monet, Picasso, Gauguin, Chagall, Magritte ou Ensor. Du 16e siècle à la modernité, les grands courants artistiques y sont représentés. Mais on peut parfois aussi aller au musée juste pour une toile, une œuvre, un artiste ou sa muse. Alors je la cherche…
Et, oui, c’est elle, c’est bien Nel !

Et encore elle…

Et toujours Nel…

Le lumineux talent de Rik Wauters, chef de file du fauvisme brabançon qui passa une partie de sa vie trop brève à Watermael-Boitsfort et dont Nel, la compagne, fut le modèle inspiré et inspirant, a réuni aujourd’hui trois amies à La Boverie.

Il y a tant de choses à y découvrir, dans un cadre qui met remarquablement les œuvres en valeur, que décision est prise d’y revenir bien vite. Tout en sirotant un café à la “cantine” du musée qui s’appelle, je vous le donne en mille : Madame Boverie. Aucun spleen “bovaryen” à y redouter. Mais un petit clin d’œil à savourer : le code Wi-Fi pour les visiteurs y est emma123456.

Exposition Liège. Chefs-d’œuvre jusqu’au 18.8.19 – www.laboverie.com
Et pour découvrir de vrais tableaux en plein air, cap sur Hasselt !
Texte : Germaine Fanchamps
Photos : Ville de Liège, Katrien Bruyland, Germaine Fanchamps