Voir des narcisses dont la main de l’homme n’a pas planté les bulbes fleurir par millions là où le pied de l’homme ne peut pas se poser, ça vous a quand même une autre gueule !
Ce qui est peut-être le secret le mieux gardé de Belgique est une véritable attraction saisonnière en Allemagne. Entre fin mars et début mai, les prairies naturelles de la petite vallée perdue de l’Olef, qui trace quelque part la frontière entre les deux pays, se couvrent d’une multitude de narcisses botaniques. Nos voisins viennent de loin pour les voir, de Cologne, capitale de la Rhénanie du Nord-Westphalie, et bien au-delà.
Venant du côté belge, peu après Bullange (Büllingen) on passe la frontière au Losheimergraben. Il faut y faire pratiquement tout le tour du rond-point et prendre la route 265 en direction de Hellenthal. Dans le grand virage du Hollerather Knie (le coude de Hollerath), s’ouvre à gauche la descente vers le “parking des narcisses”. Nous ne sommes encore que le 31 mars, en début d’avant-midi, et il est déjà presque rempli.

Mais quelles sont ces pierres dressées moussues qui bordent l’aire de stationnement ? Des alignements de menhirs préhistoriques ? Les vieux chicots d‘un ancien géant des bois ? Pas du tout. Ce sont des dents de dragon, les défenses antichars en béton de la Ligne Siegfried, construite par l’ancien Empire allemand entre 1916 et 1917. Une aimable dame qui les contemple en même temps que moi attire aussi mon attention sur le fait que le parking est payant. Heureusement que nous sommes passés à l’euro ! C’est plus pratique pour approvisionner le parcmètre, même si c’est un peu curieux d’en trouver un en pleine nature.

À l’entrée de la sombre forêt de sapins, une stèle indique l’endroit précis où a débuté l’Offensive des Ardennes le 16 décembre 1944. Avec une pensée émue pour les jeunes soldats allemands et américains qui se sont affrontés ici. Mais aujourd’hui, c’est le chant printanier du pinson des arbres qui résonne dans les bois : un beau trille qui se termine sur un “Vî dju !” insolent. Saviez-vous que cela signifie “vieux dieu” en wallon ? Tous les vieux dieux de la forêt ont dû se donner rendez-vous dans le Parc naturel transfrontalier Hautes Fagnes-Eifel.

Après une longue descente vers la vallée, on repasse dans une réserve naturelle du côté belge. Quelque deux kilomètres plus loin, les premières fleurs pointent le bout de leur nez en bordure du ruisseau. Mais en ce dernier jour de mars, elles ne sont pas encore assez nombreuses pour faire un effet vraiment époustouflant quand on arrive à la grande prairie. Les narcisses cultivés, qui sont plantés dans les parcs et sur les talus des routes, tranchent sur l’herbe verte tondue à l’automne précédent. Leurs frères sauvages, eux, doivent s’imposer visuellement sur le tapis blanchâtre des hautes herbes fanées. Revenons la semaine prochaine…

Le samedi suivant, à la fin du jour, les narcisses qui bordent le chemin tendent goulument leur cœur pour se goinfrer des derniers rayons du soleil. J’ai choisi de faire la promenade la plus longue, mais en partie à contresens de l’itinéraire fléché. Pour mieux profiter de l’orientation du soleil. Mais aussi parce que j’avais croisé le groupe de la promenade guidée qui en faisait autant la semaine précédente. Il doit bien y avoir une raison…

La grande prairie peut se contempler du haut du chemin qui borde l’itinéraire le plus court, d’un accès plus aisé et où des bancs sont installés. Elle peut aussi se visiter par un petit sentier herbeux qui passe au milieu des narcisses de la réserve naturelle. Pas question de le quitter, bien sûr. Tous les promeneurs que j’ai rencontrés respectaient d’ailleurs parfaitement le lieu. Mais la sensation d’être au cœur de la floraison est vraiment riche et intense.

Cette fourmi doit ressentir elle aussi le plaisir intense d’être au cœur de la fleur pour y pique-niquer. Mais au fait, s’agit-il bien d’un narcisse ou d’une jonquille ? Cœur jaune et corolle crème, c’est bien un narcisse botanique, qu’on appelle parfois narcisse trompette. La jonquille est en principe toute jaune. Et de toute façon, la jonquille est une variété de narcisse…
Au Point d’Info du Parc National de l’Eifel à Hellenthal, vous trouvez un dépliant avec les itinéraires à la découverte des narcisses – www.hellenthal.de
Voir aussi www.naturpark-eifel.de
Pour les randonneurs, signalons que cette partie de la vallée de l’Olef se trouve sur le GR56 qui fait partie des Sentiers de Grande Randonnée dans les Cantons de l’Est – www.ostbelgien.eu
Et si marcher vous a donné soif, les microbrasseries fleurissent aussi.
Texte et photos : Germaine Fanchamps