Tableaux impressionnistes sous les cerisiers du Japon

Les premiers peintres français qui ont sorti leur chevalet pour aller peindre en pleine nature étaient aussi très influencés par l’art japonais des estampes. Plus modestement, je suis allée aérer mon Nikon à Hasselt…

La floraison des cerisiers du Japon a toujours une résonnance particulière. J’ai longtemps habité une avenue qui en était plantée et où chaque année passait la voiture immatriculée CD promenant Madame l’Ambassadrice du Japon. (C’était au temps où le titre ne pouvait s’imaginer que pour désigner l’épouse de l’ambassadeur). La même ferveur est-elle aujourd’hui encore palpable dans le plus grand jardin japonais d’Europe ?

Sous l’arche immaculée d’un prunus blanc, elle arrive en courant du fond d’une petite allée. Vêtue d’une courte robe blanche et bizarrement chaussée de sneakers brunes, elle tient ses chaussures blanches à la main. Et de l’autre main, la main de celui qui est sans doute son jeune époux tout frais du jour. Lui en jean et chemise blanche. Voyant mon sourire, ils me gratifient d’un “hello !” joyeux et filent vers la sortie. Ainsi donc, les jeunes couples japonais viennent aussi se faire photographier dans les parcs ? Dommage d’arriver trop tard…

Les premiers pas dans le jardin sont un peu perturbés par le bruit lancinant de la circulation sur le périphérique proche, mais il suffit de se rapprocher de l’eau pour ne plus entendre que son doux clapotis. Qui va en s’intensifiant quand on se rapproche de la grande cascade…

“Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins…” écrivait Arthur Rimbaud (Aube, Les Illuminations). Les sapins sont ici des pins taillés en nuage. Se pencher sous les pins taillés en nuage a quelque chose d’un peu indécent. C’est comme regarder sous la jupe des dames du temps jadis en crinoline : on en voit toute l’armature. Il y a des découvertes plus séduisantes à faire.

“La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.” (Rimbaud) Celle-ci est la fleur du Cornus Florida, un arbuste à la floraison somptueuse, dont l’identité vous est révélée par l’étiquette botanique qu’il porte. Un bel échange Est-Ouest avec ce cornouiller originaire d’Amérique, dans un jardin japonais, en Europe. On reste dans la gamme des blancs légèrement nimbés de couleur…

De la couleur avant toute chose ? Le délicat feuillage printanier des différents érables japonais crée des effets de peintre luministe autour de la lanterne en pierre. Plus loin, la maison de cérémonie se mire dans l’eau de la “mer” près de la plage où les enfants ravis viennent nourrir les énormes carpes koï (0,50 € le sachet de nourriture à l’entrée du jardin).  

Dans cette maison de cérémonie les pieds dans l’eau, des activités sont régulièrement proposées : initiation à la cérémonie du thé par un maître du thé, cours d’ikebana, atelier de bento… Mais c’est en gravissant une petite colline, dans le pavillon de thé un peu négligé par les visiteurs du jour, que m’attend une image plus intimiste.

Derrière un simple claustra en tiges de bambou, la chambre de repos du pavillon de thé, avec sa natte bleue jonchée de feuilles de ginkgo biloba, semble attendre quelqu’un. “La belle si tu voulais, la belle si tu voulais, nous dormirions ensemble, lonla… dans un grand lit carré…”  Au fond, ont-ils aussi des ballades traditionnelles sur le thème du futon conjugal, au Japon ? Ou sans doute des haïkus, ces poèmes très courts qui célèbrent souvent l’amour…  Je repense aux deux tourtereaux du début de l’histoire…

Comme par magie, je retrouve le jeune couple sous une tonnelle dressée parmi les cerisiers en fleurs. Leur petite réception a des allures de guinguette au bord de l’eau ou de déjeuner sur l’herbe, des thèmes chers aux Impressionnistes. C’est frais, joyeux. Dans les verres, le champagne ou mousseux est rosé comme les fleurs.  

Le son grave et profond d’une cloche retentit à intervalle régulier. Je suis le mouvement des autres visiteurs qui se dirigent vers le petit pavillon d’où semble émaner le son. Il faut pour cela s’approcher de la noce, mais visiblement cela ne perturbe pas la sérénité ambiante. Il faut dire qu’il s’agit de la cloche de la paix…

Cette cloche suspendue sous un toit de bois porte du côté gauche une inscription en japonais, et du côté droit la même inscription, du moins on peut le supposer, en néerlandais. Traduction : “FAITES RÉSONNER LA CLOCHE POUR LA PAIX ET L’AMITIÉ, ICI ET PARTOUT DANS LE MONDE. 150 ans de diplomatie Japon-Belgique, Jardin japonais Hasselt 2016”.  Cette cloche n’est pas actionnée par un battant accroché à l’intérieur (comme celles de chez nous censées se rendre à Rome une fois par an), mais frappée de l’extérieur par un tronc suspendu. Démonstration…

C’est une petite fille participant à la petite fête sous les cerisiers du Japon qui vient actionner la cloche de la paix. À une main et tout en mangeant une fraise de l’autre. Rassurée sur la facilité de l’opération, je la ferai résonner à mon tour en l’honneur des jeunes mariés et irai même glisser une obole dans le petit temple des offrandes pour leur porter bonheur.

Sur le sentier qui me mène à la sortie, je me retourne sur cette image d’une petite famille qui va peut-être rejoindre la fête sous les cerisiers du Japon. Oui, oui, nous sommes bien en Belgique, au Limbourg, à Hasselt. Et non à Itami, la ville japonaise sœur qui a offert ce jardin, inauguré en 1992, en cadeau de jumelage à la cité limbourgeoise.

Jardin japonais Hasselt : www.visithasselt.be/fr/jardin-japonais

Ouvert jusqu’au dimanche 3 novembre, jours et heures : voir site web – Chiens non admis.

Mais que fait la nature toute seule dans son jardin ? Plongée dans une vallée secrète

Texte et photos : Germaine Fanchamps